Comment valoriser et professionnaliser les métiers des services à la personne ?

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Développer le marché haut de gamme du personnel de maison : un moyen de valoriser et de professionnaliser les métiers des services à la personne.

Depuis la fin des années 1990, les agences de placement haut de gamme et les formations de personnel de maison fleurissent à travers le monde. On compte aujourd’hui une vingtaine d’écoles de majordomes et de gouvernantes (Butler academies) en activité sur les cinq continents, alors même que l’histoire du personnel de maison dans l’Europe du XXème siècle est marquée par des tentatives avortées de formations leur étant destinées. Les métiers du service au domicile privé restent pendant longtemps maintenus dans l’ombre, dévalorisés car ne nécessitant pas a priori de compétences spécifiques, mais reposant sur des savoir-faire « innés » qui ne s’apprennent pas.

Or, le début du XXIème siècle remet à l’ordre du jour la question, pourtant ancienne mais délaissée, de la professionnalisation et de la valorisation de ces métiers. Les dirigeants politiques s’en saisissent du fait de la demande accrue du marché du care, entre autres impulsée par la prise en charge des personnes dépendantes et les besoins en gardes d’enfants, comme le développe le billet posté sur ce blog le 19 mai dernier. Parmi les associations et les entreprises de services à la personne, certaines se spécialisent dans le haut de gamme, pour répondre également aux besoins quotidiens d’une clientèle non dépendante, souvent issue des classes supérieures. Elles sont majoritairement impulsées par des anciens des métiers du service privé ou du service hôtelier de luxe, qui, outre vouloir répondre à la demande spécifique de cette clientèle, sont porteurs d’un projet de reconnaissance à leur juste valeur de métiers dont l’exigence est sans doute sous-estimée. Un peu comme le secteur hôtelier l’a fait il y a quelques décennies en instaurant des diplômes et des formations désormais reconnues pour leur excellence, le secteur du service privé recherche désormais lui-même sa propre professionnalisation. Les formations se multiplient dans le secteur des services à la personne, sans toutefois être reconnues par l’état qui remet en cause leur qualité et leur utilité.

Spécialiser certaines de ces formations et de ces agences de placement dans le haut de gamme est-il un moyen de contrecarrer les préjugés négatifs à l’égard des métiers des services à la personne privés ?

Cette interrogation s’inscrit dans un travail de thèse de doctorat de sociologie qui porte plus spécifiquement sur ce marché émergeant. En rencontrant des fondateurs et directeurs d’agence de placement de plusieurs pays, en observant le déroulé de formations de personnel de maison haut de gamme, en discutant avec divers employeurs et employés, on se rend compte que l’enjeu de ce marché international de niche dépasse largement ses propres frontières.

En formation, les élèves apprennent certes à servir les clients les plus exigeants, respectent une discipline stricte et endossent un savoir-être propre aux milieux sociaux qu’ils sont destinés à servir. Les agences répondent certes avant tout à la demande d’une clientèle relativement aisée, qui n’est pas représentative de toute la population qui aurait besoin d’aide à domicile. Mais cette professionnalisation par le luxe est peut-être le point de départ d’une reconnaissance plus large de tous les métiers des services privés, quel que soit le milieu social dans lequel ils sont exercés.

C’est en tout cas l’espoir qui anime certains fondateurs de ces structures, cohérent quant on mesure le prestige dont jouissent aujourd’hui certains métiers de l’hôtellerie, de la restauration ou de la gastronomie, acquis par leur montée en gamme. Les formations haut de gamme de personnel de maison ont pour ambition de préparation physiquement et mentalement à des métiers difficiles, en proposant l’immersion des élèves dans des maisons bourgeoises où ils apprennent à servir en situation, lorsque les agences insèrent les candidats dans un réseau d’employeurs utile pour rebondir face au fort turn-over.

Mais surtout, institutionnaliser les métiers des services à la personne privés est une façon de formaliser des règles et des devoirs au sein d’un marché que l’état parvient mal à réguler. Car la spécificité de ces métiers est qu’ils s’exercent, contrairement à l’hôtellerie, au domicile de particuliers. Non seulement ces derniers doivent apprendre à être employeurs, et le personnel de maison à être salarié. Or, la régulation juridique de ces métiers est d’autant plus difficile que l’inspection du travail, du moins en France, ne peut faire son travail de vérification des conditions de travail au domicile privé. Le travail au noir est en outre très présent, parfois du fait d’employeurs mal informés des procédures de déclaration ou n’étant pas à l’aise avec l’idée de développer une relation strictement salariale et professionnelle avec ceux qui les aident au quotidien dans leur intimité. En suivant leurs candidats et leurs clients, en leur fournissant des fiches de postes claires correspondant à des grilles salariales fixes et en les accompagnant dans leurs démarches administratives, les agences de placement peuvent être un rempart contre de mauvaises conditions d’emplois et de relations entre employeurs et employés. Un rempart que peut sans doute renforcer le haut de gamme par la sélection rigoureuse qu’il revendique de candidats et de clients de confiance, qui n’est pas forcément faite par les autres agences et formations du secteur plus vaste des services à la personne.

La spécialisation de certaines agences et formations dans le service privé à domicile haut de gamme peut donc peut-être contribuer à endiguer ces problèmes propres au secteur.

Cependant, les recherches montrent qu’elles demeurent parfois méconnues des clients et candidats auxquels elles s’adressent, voire suscitent des réticences : coûts élevés des formations de majordome et de gouvernante, durées d’apprentissage courtes, coûts plus importants pour les clients qui passent par les agences, déception des candidats à l’emploi et des employeurs qui ne parviennent pas se trouver. Les agences et les formations, même dans la niche du haut de gamme, sont encore loin de s’imposer comme des intermédiaires obligatoires sur un marché qui fonctionne beaucoup par le bouche à oreille et l’informel, loin des filtres juridiques et du contrôle de l’état. Les situations de travail sont donc fortement contrastées sur ce marché, puisque le majordome déclaré payé plus de trois fois le smic aux conditions de travail règlementées y côtoie l’employée de maison embauchée au noir sans jour de repos et percevant de l’argent de poche, dont les conditions de travail sont le gisement amer d’une domesticité sujette à toute exploitation.

Toute initiative nouvelle présente des réussites et des limites.

Pour qu’elles remplissent leurs objectifs de valorisation et de professionnalisation des métiers des services privés, et que leurs combats profitent à toutes les autres gammes et milieux sociaux du secteur, les agences et formations haut de gamme ne peuvent agir seules sans un état qui régule davantage ce vaste secteur professionnel présent dans tous les pays du monde. Leur émergence témoigne de l’urgence à réguler ce qu’on appelle plus largement le domestic work, en reconnaissant ses difficultés et pourquoi pas en lui redonnant ses lettres de noblesse par son exercice au sein de métiers d’excellence.

Par Alizée  DELPIERRE
Doctorante au CSO -Sciences Po
Ecole Normale Supérieure (Ulm)

 

 

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